Ce billet a été publié pour la première fois en décembre 2015.
Sébastien Roy se passionne à la fois pour les spiritueux et le Nouveau-Brunswick. Il y a à peine quatre ans, il a conjugué ces deux passions pour créer Distillerie Fils du Roy, une microdistillerie située à Petit-Paquetville, dans le nord de la province.
Ayant à son actif un nombre impressionnant de prix, un esprit d’entreprise et une passion contagieuse pour sa province, M. Roy représentait pour ONB la personne idéale à interviewer. Nous l’avons rencontré récemment pour discuter du succès rapide de la distillerie, d’entrepreneuriat et de la fierté que lui inspire le Nouveau-Brunswick.
ONB : Commençons par l’emplacement de votre distillerie. Pourquoi avez-vous choisi de l’établir à Petit-Paquetville?
Roy : Nous avons choisi cet endroit à cause de l’eau. L’approvisionnement en eau est évidemment très important pour une distillerie; une bouteille de vodka, par exemple, contient 60 p. 100 d’eau. Nous avions besoin d’une grande quantité de bonne eau, et nous avons trouvé une source idéale à Petit-Paquetville.
ONB : Quels sont les produits que vous offrez à l’heure actuelle?
Roy : Pour le moment, notre production englobe la vodka, le gin, l’absinthe, l’anisette, une liqueur de bleuet, une liqueur de canneberge et l’Eau d’Août. Nous avons aussi commencé à produire du whisky, le premier whisky officiel du Nouveau-Brunswick, ce qui est tout à fait passionnant.
ONB : Il y a d’autres produits aussi qui sont en voie de développement, n’est-ce pas?
Roy : Oui, nous pourrons bientôt produire un spiritueux à la mélasse. C’est un rhum blanc. Au Canada, il faut laisser vieillir le rhum blanc pendant un an. Il faut ensuite le filtrer pour enlever tout le goût laissé par le fût de chêne et le processus de vieillissement. Pour ma part, je ne vois pas l’utilité de faire vieillir quelque chose pour ensuite affaiblir le goût. Ce ne sera donc pas un rhum. Ce sera un spiritueux à la mélasse.
ONB : Les partenariats avec d’autres entreprises du Nouveau-Brunswick sont une priorité pour vous. Parlez-nous de votre partenaire pour le spiritueux à la mélasse.
Roy : Nous sommes très heureux de travailler avec Crosby’s pour produire le spiritueux à la mélasse. Crosby’s existe depuis longtemps au Nouveau-Brunswick. L’entreprise mène ses activités ici depuis plus de 100 ans. C’est un plaisir pour nous de travailler avec un tel pilier du Nouveau-Brunswick. L’entreprise va nous fournir sa mélasse finale. C’est une mélasse noire de saveur très prononcée et légèrement amère; elle devrait donner un excellent goût à notre spiritueux.
Nous travaillons également avec un producteur de céréales local qui nous fournit du seigle. Nous voulons produire de la vodka avec des grains de seigle. Nous produisons déjà un rye, c’est-à-dire du whisky de seigle, et du whisky de single malt, mais nous aimerions ajouter une vodka spéciale à notre gamme de produits.
Pour nos liqueurs de canneberge et de bleuet, nous utilisons les bleuets d’un producteur de Saint-Isidore et des canneberges cultivées dans le Nord, entre Bathurst et Grande-Anse. Nous essayons de cultiver nous-mêmes les produits que nous utilisons ou de les acheter auprès de producteurs du Nouveau-Brunswick. C’est important pour nous d’utiliser des produits locaux.
ONB : N’avez-vous pas aussi établi des partenariats avec d’autres groupes locaux, en plus des producteurs?
Roy : Nous sommes en train d’établir des partenariats avec les centres de recherche de la région. Nous cherchons à cultiver dans la province un plus grand nombre des espèces végétales dont nous avons besoin, par exemple le genévrier pour produire le gin. Nous voulons savoir s’il peut pousser ici, dans le nord du Nouveau-Brunswick, tout comme à Juniper, dans le comté de Carleton. Nous pensons que oui, mais nous en sommes encore à l’étape de la recherche.
Le prototype de notre fût en bois a aussi été fait avec des arbres du Nouveau-Brunswick. J’ai fait ce choix parce que je ne veux pas utiliser le chêne; je n’ai pas d’affinités avec le chêne. Le cèdre, lui, a été utilisé pour construire des maisons et des bateaux ici, dans le nord du Nouveau-Brunswick. C’est un arbre que les Acadiens utilisaient pour beaucoup de choses. Il a une véritable histoire. Je veux donc donner un goût de cèdre, un fond de menthe, à mon whisky. L’arôme particulier que je recherche est propre au cèdre du sud-est du Canada et du nord-est des États-Unis.
Notre Gin Thuya est aromatisé au thuya d’Occident. C’est le nom du cèdre blanc d’ici. J’utilise ces espèces végétales dans mon gin pour lui donner un arôme de la région.
ONB : L’histoire du thuya au Nouveau-Brunswick est intéressante. Dites-nous-en plus à ce sujet.
Roy : Le thuya a été une des premières espèces végétales répertoriées en Amérique du Nord. Pendant l’hiver de 1535, Jacques Cartier était de passage ici à la recherche de ce qui est maintenant la ville de Québec. Son équipage était atteint du scorbut. Les Autochtones faisaient bouillir le thuya dans l’eau pour produire une tisane à forte teneur en vitamine C. Ils l’ont utilisé pour guérir l’équipage de Cartier.
ONB : Faisons un résumé des prix que vos produits ont déjà remportés.
Roy : Le Gin Thuya a remporté une double médaille d’or au World Spirits Competition de San Francisco, une médaille d’or à l’International Spirits Competition de New York et une médaille d’or à l’International Spirits Challenge (ISC). La Courailleuse, notre absinthe, et Le Therio, notre spiritueux à l’anis, ont chacun mérité une médaille de bronze à l’ISC et une médaille d’argent à San Francisco. Le Monarque Rouge, notre liqueur de canneberge, a reçu une médaille d’or à New York.
La couleur est un facteur qui entre en jeu dans les concours d’absinthe. L’absinthe est typiquement d’un vert vif et habituellement sucrée. J’utilise la même recette qu’on utilisait à Paris en 1854 pour notre absinthe. On n’utilisait pas de colorant ni de sucre à cette époque. La couleur venait de la chlorophylle. Je cultive donc des plantes ici et je les fais sécher. Cela nous donne notre couleur. Ce n’est pas le vert vif qu’on voit habituellement. La couleur change avec le temps, ce qui est un signe de qualité. L’absinthe change de couleur dans la bouteille, tout comme les feuilles. Elle devient rougeâtre ou jaunâtre au bout de neuf mois et prend un aspect brunâtre après un an. Dans les concours, le vert vif est recherché, mais je ne changerai pas ma méthode juste pour cette raison.
Le Therio, notre spiritueux à l’anis aromatisé à la vanille pendant le vieillissement, est censé être doux aussi, mais je n’ajoute aucun sucre à nos produits. C’est l’arôme naturel de l’huile essentielle d’anis qui lui donne son goût sucré. La couleur, encore une fois, est un facteur d’évaluation, mais encore une fois, je ne change pas notre formule pour les concours.
ONB : Où vendez-vous vos produits maintenant, en dehors du Nouveau-Brunswick?
Roy : L’exportation est intéressante dans notre secteur. Il a réellement fallu mettre l’accent sur la stratégie de marque. Les produits – les liquides en soi – sont considérés comme étant de qualité très supérieure, mais pour le marketing, c’est autre chose. ONB a entre autres suggéré de faire appel à une entreprise de l’extérieur de la région pour le marketing, donc nous travaillons avec une entreprise de Paris. Cette entreprise a vraiment insisté sur l’importance de faire valoir notre identité canadienne, et nous avons discuté de la possibilité d’utiliser une feuille d’érable sur toutes nos bouteilles comme image de marque. On nous voit vraiment là-bas comme un grand tout, donc l’accent doit être mis sur le Canada, non pas sur le Nouveau-Brunswick. La feuille d’érable est une image essentielle pour les consommateurs de cette région, bien plus qu’elle ne l’est ici. C’était une bonne décision de collaborer avec une entreprise de marketing européenne, car celle-ci est à l’écoute de ce qui se passe sur ces marchés.
La stratégie de marque sur les marchés étrangers est très importante, beaucoup plus que les gens le pensent. Avoir un excellent produit ne suffit pas; même notre gin primé a besoin d’une nouvelle stratégie de marque. Le Gin Thuya s’appellera simplement le Sébastien, comme moi. Ce simple nom français sera plus attrayant sur le marché de France.
Pour le moment, nous cherchons à exporter nos produits en France, en Allemagne et en Scandinavie, et il serait possible d’accroître les exportations en Europe, ce que nous envisageons d’ailleurs. La Corée du Sud a aussi manifesté beaucoup d’intérêt pour nos produits, en particulier notre liqueur de canneberge.
ONB : Parlez-nous de la relation entre Fils du Roy et ONB.
Roy : ONB nous a énormément aidés dès le début. Je dis depuis longtemps que ce n’est pas juste le financement qui a compté. N’oublions pas les conseils que j’ai reçus et que je continue de recevoir de l’équipe d’ONB. Ce conseil à propos d’une entreprise de marketing étrangère est un bon exemple.
Une banque peut prêter de l’argent, mais elle ne peut pas donner le genre de contacts et de conseils sur un secteur qu’on obtient avec des groupes comme ONB. Le fait de nous faire diriger vers les bons consultants ou les bons partenaires a réellement eu des effets positifs. Je ne pense pas que nous en serions au même point autrement.
Notre famille n’est pas vraiment axée sur les affaires, et nous n’avons jamais eu beaucoup de ressources financières, donc pour nous, ces conseils étaient précieux. Nous avons vécu une expérience formidable avec votre organisation. Votre équipe a réellement travaillé dans notre intérêt; elle veut que nous réussissions.
L’aide financière est un atout, bien sûr, parce qu’elle aide à minimiser les risques.
ONB : Qu’est-ce qui vous a poussé à démarrer cette entreprise?
Roy : Ma mère a travaillé dans l’imprimerie toute sa vie adulte, un secteur qui n’a pas connu une très forte croissance au cours des dernières années. Je la voyais s’inquiéter au sujet de sa sécurité d’emploi, par exemple, alors j’ai pensé que nous pourrions démarrer notre propre entreprise. Je m’intéressais depuis longtemps à ce secteur, ayant déjà cofondé une microbrasserie — j’ai senti que c’était le bon moment de lancer l’affaire. C’était l’été de 2011, et nous avons donné le coup d’envoi en novembre. Je voulais créer des emplois pour les membres de notre famille et ne pas avoir à m’inquiéter qu’ils aient à quitter la région pour trouver du travail.
Nous arrivons maintenant au point où nous pouvons engager d’autres gens et contribuer – de notre propre façon – à l’économie de la Péninsule acadienne. Nous avons installé une nouvelle colonne dans la distillerie grâce à l’aide d’ONB encore une fois. Avec cette nouvelle colonne, il faudra peut-être que nous augmentions notre main-d’œuvre à mesure que nous traiterons des commandes plus nombreuses et plus grosses. Notre impact économique général n’est pas encore énorme, mais, pour notre famille et une poignée de gens de cette petite région, les effets sont réels. Nous sommes fiers de cela.
Écrit par Jason Boies